Femmes puissantes
par Léa Salamé
Société
30 mars 2022
[social_warfare]
Temps de lecture : 9 min
De Christiane Taubira à Nathalie Kosciusko-Morizet, de Béatrice Dalle à Elisabeth Badinter, de Leïla Slimani à Amélie Mauresmo : Léa Salamé retranscrit dans ce livre les portraits radiophoniques de ces 12 femmes puissantes qu’elle a interviewées. Des femmes accomplies, qui ont dû se battre pour imposer le respect et rester libres.
« Chez un homme, la puissance est légitime. Chez une femme, elle paraît suspecte, contre-nature. »
Présentation de Femmes Puissantes (Les Arènes, 2020)
Lorsque, à l’été 2019, Léa Salamé donne rendez-vous aux auditeurs de France Inter avec des entretiens intimistes autour de la puissance des femmes, personne n’imagine l’impact de ces émissions. Elles battent aussitôt des records d’écoute et suscitent des milliers de commentaires enthousiastes. Une seconde vague d’entretiens sera diffusée entre Noël et le jour de l’An. Une nouvelle saison sera lancée à l’été 2020.
Ces entretiens frappent par la liberté et l’authenticité que permettent Léa Salamé et ses questions autour de la puissance des femmes : quelle est sa nature ? comment l’exercent-elles ? Quels sont les rapports entre féminité et pouvoir ? Comment ces femmes se sont-elles construites ?
Retravaillés pour ce livre afin d’en restituer toute l’intimité, les entretiens sont précédés d’un long texte très personnel de Léa Salamé qui se prête au jeu de l’introspection. Des femmes puissantes est la rencontre d’une personnalité hors norme avec son époque.
» On dit des femmes qu’elles sont belles, charmantes, piquantes, délicieuses, intelligentes, vives, parfois dures, manipulatrices ou méchantes. « Hystériques’ lorsqu’elles sont en colère. « Arrivistes’ lorsqu’elles réussissent. Mais on dit rarement d’elles qu’elles sont puissantes.
Chez un homme, la puissance est légitime. Chez une femme, elle paraît suspecte, contre-nature. J’ai voulu savoir pourquoi, et j’ai entamé un voyage dans les mystères du pouvoir au féminin.
On se construit en se confrontant à d’autres vies que la sienne. J’ai rencontré des femmes dont j’admirais le courage, la liberté et la singularité. Écrivaine, médecin, femme politique, cheffe d’entreprise, rabbine, sportive, jeunes ou plus âgées, de droite ou de gauche… elles ont toutes un point commun : leur force intérieure et leur influence dans la société, en un mot, leur puissance. Elles m’ont transformée, profondément. Ont fait voler en éclats mes préjugés. Mais surtout, comme à beaucoup d’auditrices, elles m’ont fait du bien. » Léa Salamé
Qu’apprend-on dans Femmes puissantes ?
Dans ce livre, la journaliste retranscrit 12 interviews qu’elle a donné sur France Inter dans son émission « Femmes puissantes ». Des interviews de femmes accomplies, dans l’ombre ou la lumière, qui frappent toutes par la liberté et l’authenticité de leurs propos, des « femmes qui comptent » en somme.
L’introduction permet de mieux connaitre Léa Salamé lorsqu’elle évoque la guerre au Liban, l’immigration en France, sa difficile intégration en tant que femme d’Orient et son rapport au féminisme.
Léa Salamé a posé la question : « Si je vous dis que vous êtes une femme puissante, que me répondez-vous ? » à chacune des femmes qu’elle a interviewée.
Je n’ai pas systématiquement rapporté leur réponse à cette question, mais j’ai relevé les passages qui m’ont interpellée. Ces portraits de femmes peuvent aussi être écoutés en podcast.
1. Leïla Slimani, écrivaine
Leïla Slimani : « Etre une femme puissante, c’est avoir le courage de déplaire »
C’est beau « autrice ». C’est un très vieux terme qui je crois remonte au 16e siècle. C’est un mot magnifique, à l’ histoire compliquée. L’auteur est celui qui a l’autorité. Dans les moments très misogyne et patriarcaux, on refusait l’idée d’autrice en avançant qu’une femme ne pouvait pas avoir l’autorité, elle ne pouvait pas être source. De toute façon, la langue est plus forte que les gens, elle va plus vite qu’eux.
2. Chloé Bertolus, chirurgienne
Léa Salamé : est-ce que vous avez du « temps de femme » ?
Je n’ai pas d’enfant. Il m’arrive souvent de calculer mon temps en me disant que, si j’en avais eu, je l’aurais pris pour m’occuper d’eux. C’est une sorte de redevance, de « taxe carbone ». L’hôpital nous sollicite énormément. J’ai fait le calcul de points j’ai passé 3 années de ma vie à dormir à l’hôpital.
3. Christiane Taubira, femme politique
Christiane Taubira : « J’ai réglé tous mes comptes avec la peur »
Vous mettez le doigt sur l’un des grands conflits entre le féminisme occidentale et ce que l’on appelle l’afro-féminisme. C’est le grand désaccord entre le combat des femmes dans les sociétés où elles ont à livrer bataille pour le genre mais aussi contre la race, la pauvreté et toutes sortes de discrimination. Il y a une incompréhension phénoménale entre ces féminismes militants qui ont chacun leur vertu, leur qualité, leur force.
Il y a aussi des lois pour l’égalité des salaires entre les femmes et les hommes. Regardez les écarts qui subsistent ! Notre arsenal législatif est plutôt satisfaisant et réconfortant, mais dans le sens où il permet de mettre un gros couvercle sur nos lâchetés. Une fois qu’on aura conquis un certain nombre de droits et de liberté, il restera encore d’autres combats à livrer. Il ne faut pas s’inquiéter, il y en a pour chaque génération ! Nous pouvons faire notre boulot, les suivantes auront le leur.
Léa Salamé : Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le fait d’être une femme en politique, aujourd’hui, n’est-ce pas un atout ?
Surtout pas en politique. C’est un milieu extrêmement violent et inhospitalier envers les femmes, par nature et par destination. C’est un lieu de décision. Il suscite des rivalités, des compétitions, de la violence encore plus vis-à-vis des femmes, car les hommes les considèrent comme des intruses. Je ne parle pas de tous les hommes (on a tous des contre-exemples), mais des fonctionnements, des schémas, des modèles qui structurent nos raisonnements et qui font que les femmes n’y ont pas leur place. Les lieux du pouvoir politique sont hostiles aux femmes car ils ont été pensés et conçus dans le passé.
Léa Salamé : Y a-t-il un objet qui incarnerait la femme puissante ?
La voix. Une femme puissante, c’est quelqu’un qui peut s’emparer de la parole en toute circonstance.
Léa Salamé : Aujourd’hui, pensez-vous qu’une femme peut concilier, autant qu’un homme, carrière, vie familiale et vie amoureuse ?
C’est encore difficile. La revendication d’égalité pour les femmes n’est pas une fantaisie, une envie, voire de la jalousie. Cela ne signifie pas qu’on veut être comme les hommes. Cela consiste à élever la société tout entière. Un homme sera plus épanoui s’il vit une relation amoureuse avec une femme fondée sur le partage des goûts (littéraire, artistique) et de la liberté. Ou avec une femme ayant d’autres goût, mais capable de les lui offrir en retour. Il sera plus heureux ainsi plutôt qu’à dominer, parler plus fort, décider pour tout le monde. Je pense qu’il y a plus de bonheur pour un homme à avoir une partenaire à égalité.
Léa Salamé : Avez-vous réussi à concilier vie amoureuse, vie familiale et carrière ?
Qu’est-ce que la carrière ? J’ai mené des combats que j’ai aimé, j’ai toujours choisi ma vie, à chaque carrefour, j’ai choisi la route que je prenais. Je n’ai rien sacrifié. Je travaillais 3 fois plus, et j’ai dû accomplir les miracles quotidiens qu’accomplissent toutes les femmes. J’ai eu des responsabilités en ayant 4 enfants.
4. Laure Adler, journaliste
Laure Adler : « C’est le moment pour les femmes de reconnaître qu’elles possèdent de la puissance »
Léa Salamé : Pensez-vous que les femmes sont meilleures au pouvoir que les hommes ?
Non, mais je pense qu’elles ont des facultés, une empathie et une manière de voir le monde qui se situe moins dans la vanité propre au pouvoir que chez les hommes.
5. Elisabeth Badinter, philosophe
Elisabeth Badinter : « La femme puissante, ce serait la patronne de Google avec deux enfants »
Toute ma vie, j’ai défendu l’idée qu’il n’y avait pas LA femme mais DES femmes. Nous sommes toutes différentes, nous avons des histoires et des désirs différents. Par conséquent, on ne peut essentialiser ni globaliser la femme.
6. Béatrice Dalle, actrice
Béatrice Dalle : « Ma puissance je la dois à ma soif de liberté »
Léa Salamé : N’est-ce pas ça être une femme puissante être indépendante financièrement, physiquement ?
Je ne veux être dépendante de rien ni de personne. C’est sans doute aussi pour ça que je n’ai pas fait d’enfants : oint parce que je ne pourrais pas assumer cette dépendance-là. Même si j’adore les enfants, c’est impossible pour moi. Cette question a été réglée quand j’étais jeune. Nous ne sommes pas forcément des génitrices. On n’est pas uniquement la pour mettre bas.
7. Nathalie Kosciusko-Morizet, ingénieure
Léa Salamé : Vous êtes la première femme à répondre par l’affirmative à la question « Si je vous dis que vous êtes une femme puissante, que me répondez-vous ? ». Toutes celles que j’ai interviewé trouvent que la puissance a quelque chose de suspect.
Parce qu’il y a une ambiguïté sur le terme. Je pense qu’il y a une confusion entre le pouvoir et la puissance. Pour moi, être une personne de pouvoir est le fait d’une position. Être une personne puissante relève plus de l’intime. C’est être dans son axe, avoir trouvé son équilibre, une capacité de résilience et d’expression. En mathématiques, la puissance est la multiplication d’un nombre par lui-même. La puissance c’est donc la démultiplication de soi. C’est quelque chose de personnel.
Léa Salamé : Peut-on tout avoir : une grande carrière, une vie de famille et une vie amoureuse ?
Il faut essayer de tout avoir, d’aller au bout de ses désirs, de ses envies, de ses talents. Quant à savoir si l’on réussit tout… est-ce que vous réussissez tout, vous ?
8.Bettina Rheims, photographe
Bettina Rheims : « La puissance, c’est un mot que je n’aime pas »
Léa Salamé : Vous avez une prédilection pour les femmes qui ont de l’aspérité, de la personnalité. Vous dites d’ailleurs : « l’homme est moins complexe que la femme, moins multiple. Plus simplet. »
Je n’aurais pas pu faire tout ce travail avec des hommes. J’ai l’impression de les traverser, d’en arriver à bout plus vite. Il y a bien sûr des exceptions comme Marlon Brando.
9. Sophie de Closets, éditrice
Léa Salamé : Quel est pour vous l’objet qui symbolise la femme puissante ?
C’est un livre : Une chambre à soi de Virginia Wolf. Pour que les femmes puissent déployer leur propre génie, leur liberté créatrice et intellectuelle, elles ont besoin de deux choses : de temps et d’une chambre à soi. Les conditions matérielles sont la clé pour pouvoir se libérer et devenir qui on est.
10. Amélie Mauresmo, entraîneuse de tennis
Amélie Mauresmo : « Etre numéro un, je ne le recherche pas, mais ça donne une crédibilité »
Léa Salamé : Vous êtes devenue la première française à entraîner des hommes : Andy Murray puis aujourd’hui Lucas Pouille. Aimez-vous casser les codes ?
Je ne peux pas dire que ça me déplaît. Mais je ne le recherche pas : dans le cas Andy Murray ou de Lucas Pouille, ce sont eux qui sont venus me chercher. En acceptant ce genre de proposition, on n’a pas le droit à l’erreur. J ‘y ai mis toute ma détermination. C’était un symbole très fort pour l’avancée des femmes. Pour ces joueurs, ce geste était naturel et spontané., De fait, c’était aussi un acte féministe.
11. Anne Méaux, conseillère en communication
La communication, c’est le latin et le grec : le latin parce que cela vous oblige à remettre les choses à l’endroit, comme dans les déclinaisons ; le grec, pour les chemins de traverse dans lesquels il faut dénicher l’idée originale, le truc différent. J’ai la chance d’avoir un métier où l’on peut concilier à la fois une extrême rigueur intellectuelle et une fantaisie totale.
12. Delphine Horvilleur, rabbine
Delphine Horvilleur : « Peut-être qu’être une femme puissante est subversif »
Léa Salamé : Je vous ai demandé d’apporter un objet qui symboliserait la puissance des femmes. Lequel avez-vous apporté ?
Cette pelote de laine. Dans beaucoup de moments de leur histoire où elles n’avaient pas de pouvoir politique, les femmes étaient reléguées à la sphère de l’intériorité. En réalité, c’était celle de la couture. On pense au personnage de Pénélope, dans l’Odyssée, qui coud et découd toute la nuit. C’est grâce à cela qu’elle va manipuler le monde et c’est, d’une certaine manière, sa seule action politique dans l’histoire. Si l’on étire l’idée de la pelote, en anglais, le mot « plot » signifie justement « intrigues ». Tout au long de leur vie, les femmes ont été soupçonnées d’être dans l’intrigue, la manipulation, la ruse. C’est à la fois vrai et faux. Faux, parce que c’est un cliché misogyne d’affirmer que les femmes manipulent le monde ; mais c’est vrai dans le sens où elles ont été privées de puissance politique et on dû, justement, ruser avec l’histoire pour en obtenir. Dans le domaine de la pensée religieuse, les hommes ont eu le texte et les femmes, le textile. Et elles ont dû composer avec ça comme moyen d’accéder au pouvoir. D’où cette pelote de laine
Léa Salamé : Au fond, une femme puissante est une femme savante ?
Oui, sans savoir, il n’y a pas de pouvoir. Il en va ainsi de tous les systèmes de pensée. Si l’on n’a pas accès au texte, à l’étude, au logos, au savoir, à la connaissance, on est condamné à n’avoir aucun pouvoir. C’est précisément pour cette raison qu’on tient les femmes à distance des textes, dans le monde religieux.
Léa Salamé : Lorsque j’ai rencontré l’actrice Cate Blanchett, je lui ai demandé comment elle faisait pour parvenir à conjuguer sa carrière d’actrice, ses engagements citoyens, son couple, et le fait d’élever 4 enfants. Et elle m’a répondu ceci : « je déteste cette question, parce qu’on ne la pose jamais aux hommes. Mais voici ma réponse : comme toutes les femmes, je n’y arrive pas. »
Je me reconnais dans la réponse de Cate Blanchett. Elle fait du bien à entendre. Comme la plupart des femmes autour de moi, je suis rattrapée par la culpabilité de ne pas en faire assez, d’être absente ou pas au bon endroit.
J’aime bien 👍
-
- Ce livre nous permet d’approfondir nos propres avis et convictions sur l’évolution de la société
- Les femmes interviewées ont un parcours atypique qui force l’admiration
- Elles ont en commun d’avoir osé être elles-mêmes
J’aime moins 👎
- Des portraits de femmes moins connues ou issues de milieux moins privilégiés auraient été enrichissants
Léa Salamé
Hala Salamé, dite Léa Salamé, est une journaliste franco-libanaise, née le 27 octobre 1979 à Beyrouth (Liban).
Après avoir travaillé sur les chaînes d’information en continu France 24 et I-Télé, elle se fait connaître du grand public à partir de 2014 grâce à son rôle de chroniqueuse dans l’émission On n’est pas couché, diffusée sur France 2. Sur cette même chaîne, elle présente L’Émission politique puis Vous avez la parole mais aussi le magazine culturel Le Doc Stupéfiant. En septembre 2021, elle rejoint Laurent Ruquier à la présentation de l’émission On est en direct.
À la radio, depuis 2014, Léa Salamé réalise des interviews dans Le 7/9 sur France Inter. En 2017, elle devient la coanimatrice de cette tranche d’informations, en compagnie de Nicolas Demorand.
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Barbara Reibel
Coach Happiness, Formatrice, Autrice et Blogueuse
Fondatrice du site Happiness Factory et des blogs En 1 mot & Humour Me By Barbara
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Merci Barbara pour cet avis éclairé sur ce livre. Un de plus à rajouter à ma PAL.
Avec plaisir Il existe d’ailleurs un Tome 2 paru récemment dans lequel Léa Salamé poursuit ses interviews et il est aussi bien que le premier ! Un de plus pour la PAL !!!!